Vue de l'Ariturismo, le soir de l'arrivée.
En cours de route, je m’étais acheté une robe pour cette occasion. Elle a voyagé dans mes bagages sur Gamin, en attendant le grand jour.
Dimanche matin, ce grand moment était donc venu. Le petit sentier qui mène de l’agriturismo au cimetière est très court.
Sur le cimetière, les tombes du genre catacombe dominent. Courant pour les méridionaux, mais inhabituels pour nous autres Européens du continent central.
Le cimetière de Torrita Tiberina.
Des escaliers mobiles sont à disposition pour accéder aux tombes des rangées supérieures.
Des escaliers mobiles sont à disposition pour accéder aux tombes des rangées supérieures.
Je n’avais pas à chercher...Je suivais mon intuition. A gauche, puis vers le bas...une file de tombaux-cryptes. Tous aussi somptueux et brillants les uns que les autres...des Mini-Villas pour les défunts.
L'entrée d'une banque ? Non. Un tombeau familial
Autre tombeau. La chambre funèbre somptueuse n'a rien à envier à une véritable chapelle.
Je sais que ça ne peut pas.... alors je vais plus loin et, là, à l’angle ; la dernière crypte, elle est différente. Même très différente... Et si c’est?...
Tout au fond, la dernière crypte...
Après 1800 kilomètres de montagnes, vallées, plaines, de la pluie et la chaleur torride - me voici devant la tombe d’Aldo Moro.
La petite plaque avec la photo sur l'autel rappelle qu'Eleonora Moro est également enterrée ici.
Dans la chambre funèbre, un sarcophage blanc avec le nom. Pas de croix, même pas les dates de vie. Au pied du sarcophage, une petite pierre peinte avec des tournesols et une plaque renversée. Dessus, un ange en céramique. C’est tout. Le lierre pénètre par la fenêtre derrière dans la pièce.
C’est pourtant un ancien homme d’état qui repose ici !
Un homme qui lors de son règne s’est retrouvé dans l’éteau de la guerre froide. Il a côtoyé soviétiques et américains et il a tenté de défendre les intérêts de son peuple face aux calculs stratégiques des grandes puissances.
C’est de l’histoire, de la grande histoire !
La petite pierre peinte avec des tournesol...Elle vaut tous les ornements en or du monde.
Je mets mon dessin au pas du portail de la crypte. Il avait été réalisé à Harsault et je l’ai transporté 1800 kilomètres jusqu’ici. Un autre petit objet sans valeur matérielle, mais rempli d’amour vient s’ajouter à la modestie du sanctuaire.
Je m’assis auprès de la tombe. Je cherche “la paix” qui y régnerait. Mais je ne la trouve pas.
Le sarcophage est un cri de douleur pétrifié.
La simplicité de la tombe est une accusation. Un défi. Son message : Ce n’est pas un “personnage historique” qui repose ici, et pas un “symbole politique”. Non, c’est être humain. Un être qui voulait vivre, qui voulait rentrer chez lui.
Les premières larmes me montent aux yeux. Je revois ses lettres écrites lors de sa séquestration, je ressens la douleur, l’angoisse et l’émotion.
Et la réponse à toutes ces lettres, sa lutte pour la vie : Un sarcophage.
Je n’en peux plus. Je pleure. Un “les hommes sont des ordures” m'échappe.
Je suis profondément désespérée : je peux écrire, dessiner, je peux venir à pied jusqu’ici, mais je ne peux pas retourner dans le temps pour aller l’aider. C’est pourtant ce que je voudrais faire, plus que tout autre chose.
Et alors vint la vision, la transe, le rêve éveille.
Je reste encore un peu, jusqu’à ce que je sens Aldo me dire : “Viens, on rentre”.
Ici, il y a des gens qui ont connu Aldo, qui furent même des amis très, très proches. On me parle de lui. Avec beaucoup de tendresse, mais aussi, avec beaucoup de douleur. Aldo a toujours écouté les autres, me dit-on. Pendant des heures, Il restait attentif, cherchait à comprendre.Et il n’a pas toujours tout compris, comme il l’avouait souvent, mais il n'a jamais cessé d’écouter.
L’image que j’avais de lui se trouve confirmé par les souvenirs de ceux qui l’ont connu. Ces récits ainsi que la tombe - si différente des autres - me montrent que je n’ai pas suivi les traces d’une pure projection personnelle. Cet Aldo que j’ai ressenti, il existe bien.
C’est beau, c’est même inestimable, mais en même temps, c’est son drame qui lui aussi, devient encore plus réel.
Je revois l’image de son corps dans le coffre de la voiture ; amaigri, le visage à moitié découvert où est gravé tout son épuisement, sa solitude, sa souffrance. Cette image est insupportablement cruelle. Il y a toute la tristesse du monde dans ces yeux éteints.
Il a écouté les autres, mais lui n’a pas été écouté. On l’a tout simplement laissé crever misérablement.
Dans un monde où une telle bestialité est possible, il ne faut pas s’étonner qu’il y a des guerres, de l'oppression, des attentats et des massacres.
En 1978 comme aujourd’hui, nous vivons dans un monde qui célèbre la violence et la haine.
C'est très bien qu'Aldo soit caché ici, au bout du monde dans sa tombe discrète, protégé par les Torritiens, qui veillent avec respect et amour sur lui.